Les questions de pollution des sols par les activités industrielles ne font l’objet d’une prise de conscience que depuis peu de temps, une vingtaine d’années tout au plus, au regard de plus de deux siècles d’activité industrielle. Il y a encore vingt ans, la contamination des sols était habituellement perçue comme générée par de rares incidents, avec de possibles conséquences catastrophiques sur la santé humaine et l’environnement (même s’ils étaient alors mal connus). Aujourd’hui, la contamination des sols n’est plus perçue comme le résultat de quelques incidents, mais bien comme un problème largement répandu, avec des très lourdes conséquences sur la santé et l’environnement.
Le site Basias (Base des Anciens Sites Industriels et Activités de Service) crée en 1994 pour construire la mémoire industrielle des sols français recense en 2006 entre 300 et 400 000 sites sur 66 départements pour lesquels un inventaire historique régional devra être mené pour identifier d’éventuelles pollutions (voir figure 1).
Nombre de sites Basias par département
Le site Basol lui propose une base de données sur les sites et sols pollués (ou potentiellement pollués) appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif : 3 717 sites industriels pollués ou susceptibles de l’être sur lesquels une action des pouvoirs publics a été engagée .
Nombre de sites Basol par département
Les cartes font bien apparaître l’ampleur des sites concernés et le poids des régions industrielles comme le Nord-Pas-de-Calais, les départements de la Moselle et des Bouches-du-Rhône, l’Île-de-France étant la plus touchée. Presque tous les départements sont concernés, chacun selon son histoire industrielle. La variété des « profils de pollution » est liée à l’origine extrêmement diverse des pollutions. Selon l’AFSSET (Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail) il existe 3 grands mécanismes de pollution de site : accidentel, chronique et localisé voire diffus. Il s’agit le plus souvent :
- d’anciennes décharges, de dépôts de résidus (miniers, d’incinération) ou de produits chimiques abandonnés, qui par le passé ont été utilisés sous forme de remblais ;
- d’infiltrations ou déversements de substances (par exemple des hydrocarbures) ;
- de retombées de poussières consécutives à des rejets atmosphériques accumulés sur de longues périodes.
Les sources de contamination du sous-sol (sols et eaux) sont ainsi essentiellement le fait des anciens terrains industriels, hérités de plus de deux siècles d’industrialisation où les exploitants ont pu librement déverser les résidus toxiques sur leur site d’activité. Par diffusion, il faut donc ensuite considérer les terrains proches des anciennes zones contaminées. Pour les activités industrielles, selon la typologie de
Dominique Darmendrail basée sur les chiffres nationaux de 1996, les principales activités sources répertoriées sont les industries des métaux ferreux, les industries chimiques et pharmaceutiques, le traitement et l'élimination des déchets, les industries du pétrole et du gaz naturel, les cokeries et usines à gaz de ville (Darmendrail, 2001).
A ces sites d’activités s’ajoutent les sols pollués par les décharges et les dépôts sauvages de déchets. Il faut attendre la loi de 1993 pour que les décharges soient supprimées et que les centres d’enfouissement veillent aux conditions de stockages des déchets dangereux. Enfin, il faut considérer les terrains sur lesquels ont été exercées des activités de service (comme les stations services) ainsi que les terrains remblayés (carrières, terrains rehaussés le long des cours d’eau).
A côté des sites de pollution industrielle, il faut tenir compte des effets des pollutions agricoles, elles plus diffuses. L’INERIS (L'Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques) considère que ces sols sont sujets à des contaminations biologiques et chimiques répétées, notamment du fait des épandages (lisiers, engrais, boues, pesticides...), avec un éventuel effet d’accumulation à considérer. L’impact sur l’exposition par la voie alimentaire (aliments et eaux de boisson) dépend des pratiques agricoles, des espèces cultivées et élevées, et de l’aval des filières agro-alimentaires. Au final, elle estime qu’à la suite des transferts, pendant de longues durées, provenant de sources naturelles ou anthropiques, « tous les sols en France sont peu ou prou contaminés » . Elle propose de les classer dans les quatre catégories suivantes :
- Les sites qui sont ou ont été occupés par des installations de production ou de stockage impliquant des substances nocives.
- Les zones à contaminations multiples situées au voisinage de sites industriels, des sources de pollution urbaines ou des infrastructures et qui peuvent s’étendre sur plusieurs communes ou une partie de département
- Les terrains agricoles.
- Les zones forestières et naturelles, qui ne sont pas indemnes de risques, en raison notamment de leurs caractéristiques naturelles (gîtes minéraux, apports sédimentaires...), mais aussi des retombées atmosphériques (retombées radioactives comme Tchernobyl), des transferts par l’eau (par exemple les inondations des zones humides) et des déchets dispersés (par exemple les plombs de chasse, l’uranium issu des résidus des extractions minières). Ces situations ont été peu étudiées sur le plan sanitaire et environnemental.
Catherine CARRE, Géographe, MCF à l’université de Paris1 Panthéon Sorbonne
Michèle CHARTIER, Maître de conférences à l’université de Paris1 Panthéon Sorbonne