" Il faut toujours prendre le maximum de risques avec le maximum de précautions » Cette citation de Rudyard Kipling illustre toute la complexité et les paradoxes dans lesquels se perd notre société « du risque » . Notion médiatisée à outrance, le concept de risque se pare des contours imprécis et fluctuants.
L’appréhension juridique des risques, et tout particulièrement des risques environnementaux, s’avère délicate et revêt un caractère inachevé en constante évolution. La relative jeunesse du droit de l’environnement explique, en partie, ce phénomène, et ce, en dépit des racines anciennes de la législation française sur les installations classées . Elle témoigne de la prégnance d’une logique initiale, de nature réactive, face aux catastrophes naturelles et aux accidents technologiques majeurs.
Cette instabilité normative se manifeste par l’existence de réglementations sectorielles [En droit français, l’adoption du code de l’environnement (la partie législative en 2000 et la partie règlementaire (2005-2007) réunit une partie de ces textes (dont, le livre V « Prévention des pollutions, des risques et nuisances ») ], aux fondements juridiques diversifiés (chapitre 1).
Elle révèle l’acuité des conflits entre les impératifs environnementaux, les exigences socio-économiques et les connaissances scientifiques et technologiques. Les récentes tragédies sanitaires et écologiques révèlent l’inadaptation et l’ineffectivité préoccupantes des encadrements juridiques existants, justifiant leur révision régulière, voire l’adoption de nouveaux textes (chapitre 2).
Cette recherche d’un « juste » équilibre entre la prise de risque, la préservation de la sécurité des personnes et des biens et de la qualité de l’environnement constitue un processus d’apprentissage subtil reposant sur la responsabilisation différenciée de l’ensemble de tous les acteurs (chapitre 3). La confrontation de la société à ses propres vulnérabilités reçoit un écho planétaire, comme l’illustre la consécration onusienne de la décennie internationale de réduction des risques naturels en 1989 (résolution 44/236).
Le droit se heurte à la définition du risque, qui côtoie les termes de danger, d’aléa, d’inconvénient. Loin de constituer un concept aisément identifiable et maîtrisable dans le temps et l’espace, la notion de risque se conjugue au pluriel, et évolue dans des contextes tantôt de certitude, tantôt d’incertitude scientifique (1.1).
En raison de l’ampleur géographique de certains risques environnementaux, le droit national n’est plus le seul apte à réguler ces phénomènes. La diversité des sources juridiques se justifie aisément, tout en favorisant un enchevêtrement de droits nationaux, communautaires et internationaux (1.2).
Composante importante du droit de l’environnement
, l’appréhension des risques environnementaux impose de concilier des objectifs potentiellement conflictuels et se fonde sur des principes directeurs (1.3).
Le législateur s’est aventuré prudemment dans la qualification de la notion; dans la grande majorité des législations, le risque n’est même pas défini, au profit d’adjectifs (« grave », « très grave », « inacceptable » (…)) le caractérisant. La directive 96/82/CE concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, énonce que le risque constitue « la probabilité qu’un effet spécifique se produise dans une période donnée ou dans des circonstances déterminées » . Ce même texte définit la notion de danger et d'accident majeur.
À la lumière de ces propositions, il apparaît que la notion présente deux composantes, à consonance objective, celle de la probabilité et de la gravité d’un dommage. Elle comporte aussi une dimension subjective de nature culturelle, celle de la perception du risque et de son acceptabilité ; expression controversée qui influe notablement sur l’appréhension juridique des risques et l’évolution des réglementations. Les dimensions spatio-temporelles et la nature hybride (individuelle et collective) des risques environnementaux ne facilitent pas leur traitement juridique. L’appréciation des législations relatives à la pollution est instructive sur l’évolution de prise en compte du risque et de ses effets environnementaux et sanitaires (Décret impérial de 1810 sur les manufactures et ateliers insalubres, incommodes ou dangereux insalubres; Loi 76/663 relative aux installations pour la protection de l’environnement (article 1 : qui « peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments »); loi n° 2003/699 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages [Loi 2003/699 du 30/7/2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages JORF n° 175 du 31/7/2003 p. 13021.] : (art. 6 : « effets sur la salubrité, la santé et la sécurité publiques directement ou par pollution du milieu » et prise en compte du « type de risques, de leur gravité, de leur probabilité et de leur cinétique »).
En raison de la spécificité de certains risques, le législateur a opté pour des encadrements distincts, tels pour le nucléaire, les substances chimiques, les produits phytopharmaceutiques, les biocides, les accidents majeurs, le transport de matières dangereuses, les déchets, les organismes génétiquement modifiés (...). La lecture des clauses d’exclusion et des dérogations de la loi 2003/669 et la directive 96/82/CE témoigne de cette approche.
Toutefois, un tel éparpillement ne facilite pas la mise en place d’une stratégie cohérente et optimale de la prévention et de la réduction des risques environnementaux ; même si l’émergence d’une certaine rationalisation et approche commune de régulation des risques se profile depuis peu. Parallèlement, la distinction originelle « risques industriels » et risques naturels » perd progressivement sa pertinence, compte tenu de la difficulté à séparer objectivement ces deux types de risques. La loi 2003/699 s’inscrit dans cette logique d’appréhension commune, mais différenciée.
Nathalie HERVE-FOURNEREAU, chercheur au CNRS, IODE-Cedre, Faculté de Droit et de Science Politique -Université de Rennes 1