-
Un développement industriel ponctué par des accidents technologiques majeurs
Le développement industriel des deux siècles passés a permis de grandes avancées technologiques et une amélioration considérable du niveau de vie des populations. Le développement des machines à vapeurs, l’utilisation des différentes ressources en énergies (domaines de l’extraction minière, de la pétrochimie, du nucléaire,…), le développement de la chimie et celui des transports (chemin de fer, véhicules terrestres, avions,…) en sont les illustrations les plus marquantes. Mais, simultanément, ils sont bien souvent générateurs de nouvelles sources de danger et de nouveaux types de risques. Cette période a donc été ponctuée par de nombreux accidents technologiques majeurs, qui sont répertoriés dans différentes bases de données (BARPI par exemple). Pour prévenir ces accidents, une démarche volontariste d’analyse et de maîtrise des risques a été mise en place. Les premières méthodes d’analyse et de gestion des risques ont été notamment développées dans les années 1950/70 sous l’impulsion du développement de l’aéronautique civile et du nucléaire civil.
Les accidents résultent souvent d’enchaînements d’événements appelés scénarios d’accidents.
-
Quelques références chiffrées d’accidents dans l’industrie
Les accidents majeurs qui se produisent dans l’industrie ont, dans la plupart des cas, pour conséquence un incendie ou le rejet de matières dangereuses. De 1992 à 2005, la répartition suivante est donnée pour l’industrie française (Revue Préventique-Sécurité, n°88, 2006) : 51% donnent lieu à un incendie, 47% à une dispersion de polluant, 5.3% à une explosion et 3.2% à des effets dominos. Le nombre total d’accidents répertoriés sur la période 1992-2005 est 21765.
Selon la même référence, l’analyse des causes des accidents montre que 14% résultent d’une anomalie d’organisation, 23% d’une défaillance humaine, 44% d’une défaillance matérielle, et 10% d’un défaut de maîtrise des procédés. Les accidents résultent également souvent de causes multiples.
Les conséquences des accidents sont la mort dans 1,6% des cas, la présence de blessés pour 13%, des dommages matériels internes pour 67% des cas et externes au site siège de l’accident pour 3.3% des cas, des pertes de production pour 20% et une pollution des eaux de surfaces dans 22% des cas et souterraines dans 1% des cas.
-
Le risque zéro n’existe pas ; la prévention des risques s’impose
S’intéresser a posteriori aux accidents technologiques majeurs permet de mieux comprendre la genèse des événements qui en sont la source. L’identification et l’étude des causes et des conséquences des accidents conduisent à la mise en place de barrières techniques ou organisationnelles dont l’objectif principal est de diminuer fortement l’occurrence des enchaînements événementiels. On serait tenté de dire ‘supprimer’ plutôt que ‘diminuer’ dans la phrase précédente. Mais il est illusoire de se projeter dans un monde dans lequel les risques sont à niveau zéro. Quelle que soit la situation considérée, un risque résiduel existe toujours et il faut s’employer à le faire tendre vers le niveau le plus faible possible, avec la mise en place de barrières adaptées. De plus, il ne faut pas se limiter à une étude a posteriori des accidents mais plutôt mener des investigations a priori pour éviter que ceux-ci ne se reproduisent.
-
Des systèmes industriels complexes et par conséquent des accidents majeurs complexes
La plupart des systèmes industriels sont des systèmes complexes avec des interactions fortes entre les éléments techniques et humains qui les composent (Zwingelstein, 1999). Il est difficile de séparer les aspects techniques des aspects économiques et sociaux dans ces systèmes. A titre d’exemple, des contraintes économiques peuvent avoir un impact très négatif sur la politique de maintenance et/ou de recrutement et donc être génératrices de risques. Les accidents qui se produisent dans ces systèmes complexes sont par conséquent de nature complexe. S’intéresser au domaine du risque conduit donc à s’intéresser au domaine de la complexité (De Rosnay, 1977).
C’est bien souvent très en amont de l’événement accidentel que les causes profondes prennent leurs sources. D’une façon générale, ces causes peuvent être classées suivant différentes familles de dysfonctionnements : d’ordre technique, d’ordre réglementaire, d’ordre organisationnel, d’ordre politique, d’ordre social, d’ordre économique, ou encore les causes liées à l’environnement (Périlhon, 2003) (Kervern, 1995).
-
Un cas d’école
L’exemple de la catastrophe de Bhopal en Inde (2 et 3 décembre 1984) illustre bien cette complexité. Cet accident s’est déroulé dans une usine qui produisait des pesticides. Il a eu des conséquences catastrophiques sur la population, avec plus de 3800 morts et 360000 victimes à des degrés divers, et sur l’environnement. A ces conséquences directes, s’ajoute une pollution chronique qui n’est à ce jour pas réglée.
-
Le jour de l’accident
Un dysfonctionnement organisationnel a conduit des opérateurs à injecter accidentellement de l’eau dans un réacteur contenant du méthyl-isocyanate qui est un produit très toxique et réagissant avec l’eau (réaction d’hydrolyse exothermique). Des dysfonctionnements techniques sont à l’origine du non fonctionnement des systèmes redondants prévus pour la capture et la neutralisation du méthyl-isocyanate en sortie du réacteur, en cas d’accident. En fait, ces systèmes étaient inopérants à cause d’un problème de maintenance (dysfonctionnement organisationnel). Des dysfonctionnements techniques (alarmes et capteurs défaillants) et humains (problème de communication et de culture) ont conduit à différer l’alerte. Les conditions liées à l’environnement ont eu un effet aggravant. L’atmosphère était très stable la nuit de l’accident et ces conditions ont conduit à une stagnation du nuage de gaz toxique sur la ville.
La population des bidonvilles situés à proximité du site (dysfonctionnement réglementaire qui a conduit à une urbanisation dense en périphérie immédiate du site) est alertée tardivement. Les services de secours n’ont pas la capacité d’intervention suffisante pour porter secours et évacuer la population (dysfonctionnement organisationnel - manque de prévision).
Ce sont souvent ces seuls faits qui sont relevés pour expliquer l’accident de Bhopal.
-
Des mois et des années avant l’accident
Prendre un peu de recul par rapport aux causes directes permet de trouver des causes plus profondes. Le contexte économique du groupe propriétaire du site industriel était peu favorable au moment de l’accident, avec des difficultés rencontrées dans la vente des biens produits. Les stocks étaient par conséquent à saturation. La sphère de stockage prévue pour une vidange d’urgence était employée pour faire face à ce problème de stockage des matières premières. Cette sphère aurait pourtant permis une vidange partielle du réacteur lors de l’accident. Ces difficultés d’ordre économique avaient conduit le groupe propriétaire du site à diminuer son activité et à muter certains des cadres confirmés qui y travaillaient. La main d’œuvre employée au moment de l’accident était donc mal formée et les moyens de communication inadaptés. Les ouvriers ne lisaient que l’hindi et les consignes et documents étaient rédigés en anglais (dysfonctionnement d’ordre social et organisationnel).
Pour connaître des causes encore plus profondes, il faut remonter plus encore le temps et s’intéresser à la création du site industriel dans les années 1970. A cette époque, l’installation de groupes industriels étrangers en Inde était fortement encouragée par le gouvernement indien. Les débouchés importants en termes de marché étaient attractifs pour le groupe industriel. Cette implantation était possible sur l’aspect réglementaire, mais il fallait absolument tenir compte d’un contexte social et politique régional particulier, ce qui n’a pas été fait à l’époque. C’est un dysfonctionnement d’ordre stratégique et politique pour le groupe industriel.
-
Un accident complexe mais également un accident prévisible
L’analyse des causes de cet accident démontrent clairement qu’un accident n’est rarement le fait d’une seule cause. De nombreux dysfonctionnements dont les origines sont de natures différentes se couplent pour déclencher un scénario événementiel générateur d’accident avec des conséquences qui peuvent se révéler catastrophiques. Dans le cas de Bhopal, il est évident que l’ensemble des dysfonctionnements relevés avant l’accident témoignaient d’une situation pré-accidentelle chronique.
-
Une histoire beaucoup plus ancienne que celle des risques technologiques
Les aléas naturels dépendent essentiellement de l’environnement. Trois grands types d’origine pour les phénomènes naturels peuvent être distingués (Dubois-Maury, 2005) :
-
origine géophysique : séismes et volcans,
-
origine hydro-météorologique : cyclones, inondations, avalanches, sécheresse, etc,
-
origine géomorphologique : mouvement de terrain, etc.
Les cinétiques de ces phénomènes peuvent se révéler très différentes : ils peuvent être brusques et soudains pour certains d’entre eux (séismes) et lents pour d’autres (sécheresse). L’homme n’exerce une influence sur ce type d’aléas que depuis qu’il a mené des actions sur l’aménagement des territoires.
Les variations climatiques ou les désordres météorologiques sont le plus fréquemment à l’origine des catastrophes. L’inondation liée à la crue d’un cours d’eau est un phénomène naturel très préoccupant. Celui-ci peut être à cinétique lente ou rapide (crues torrentielles, rupture de barrage ou de digue). Toutes les grandes vallées sont exposées à ce phénomène de crue. Celles-ci sont pourtant des lieux géographiques fortement urbanisés et donc exposés. Le phénomène géologique dû au déficit en eau est le plus coûteux après les inondations. Il perturbe l’équilibre du sous-sol et fragilise les bâtiments. La canicule et la sécheresse dues à l’intensité des températures estivales conduisent à des conséquences redoutables en termes de santé publique. A plus grande échelle spatiale, les séismes entraînent des dégâts importants. Ils se produisent dans les régions situées à la frontière des plaques tectoniques qui peuvent être des régions où la densité humaine est très grande (Californie par exemple).
-
-
Une inégale répartition des catastrophes à l’échelle du globe
Il est difficile d’établir des bilans fiables en ce qui concerne les catastrophes naturelles, car les données peuvent se révéler disparates, partielles et de qualité très différentes selon les pays concernés.
Le nombre de catastrophes à l’échelle du globe aux cours des trois dernières décennies montre une disproportion flagrante entre catastrophes naturels et accidents technologiques. Sur un total de 1,3 millions de victimes mortes ou disparues, seules 13% le sont suite aux conséquences d’un accident technologiques (Dubois-Maury, 2004). Les phénomènes climatiques (ouragans, cyclones, tempêtes, inondations, etc) sont responsables de 44% des pertes humaines. Les séismes s’inscrivent dans le bilan pour près de la moitié des catastrophes avec 40% des pertes humaines. Les zones urbaines sont les plus touchées (66% des victimes y sont dénombrés) soit un nombre moyen de victimes compris entre 30000 et 40000 citadins par an (Dubois-Maury, 2004). Le montant des pertes matérielles et économiques provoquées par les catastrophes naturelles s’élèverait (données estimées à partir des biens assurés indemnisés) affichent une forte progression depuis 1990 avec des moyennes annuelles de l’ordre de 20 milliards de dollars.
Les catastrophes se répartissent de façon très inégales entre les pays dits ‘riches’ et ceux en voie de développement :
-
sur les 40 catastrophes les plus meurtrières dans le monde, 25 ont eu lieu en Asie (inondations, cyclones, tsunamis), 7 en Afrique et 4 en Amérique Latine. Les 6 autres se sont produites en Europe et Japon.
-
sur les 40 catastrophes les plus coûteuses, la région de l’Amérique du Nord est la plus touchée avec 22 catastrophes (cyclones et séismes) suivie de l’Europe occidentale avec 8 catastrophes. La tendance est ici strictement opposée à la précédente.
-
-
Pas de risque zéro également dans le domaine des processus naturels
Il est également évident que le risque zéro n’existe pas dans le domaine du risque naturel. En effet, les causes des processus à l’origine des catastrophes naturelles sont la plupart du temps indépendantes de l’homme. Par contre, les conséquences sont d’autant plus graves que l’exposition des systèmes socio-techniques est importante. Cette exposition est souvent le fait d’une urbanisation qui ne prend pas en compte la prévention des risques.
-
Un processus naturel classique mais particulièrement intense
Pour illustrer les propos précédents, prenons pour exemple les inondations dans le département de l’Aude en 1999. 36 personnes décèdent lors de cette catastrophe naturelle dont le coût est estimé à 533 millions d’euros. Après un automne relativement sec, un changement de direction du vent le matin du 12 novembre 1999 annonce un épisode de précipitations intenses. Ce processus est habituel en Méditerranée au cours de l’automne. Le vent très puissant se met à souffler sur la Méditerranée vers les départements de l’Aude, des Pyrénées orientales, de l’Hérault et du Tarn. Il se charge en vapeur d’eau au contact de la mer (encore chaude à cette époque) et les masses d’air ainsi générées se refroidissent en altitude dans les Cévennes et les Pyrénées Orientales. Des nuages se forment et provoquent des pluies d’une intensité proche de celle connue pour les pluies cycloniques tropicales. Des pics de 2,5 litres d’eau par mètre carré et par minute sont relevés. Les sols très vite saturés en eau ne peuvent plus absorber celle-ci qui va se déverser sur l’ensemble de la région de façon brutale entraînant des crues rapides avec des débits colossaux. Les rivières se transforment en torrents. Les pluies s’abattent pendant deux jours sur la région inondant une surface de 5000 km2.
-
Des conséquences aggravées par l’urbanisation et la rupture des digues
Des flots boueux submergent plusieurs villages des versants des montagnes jusqu’aux basses plaines. Les maisons sont éventrées et des personnes emportées sur le passage des flots. L’urbanisation est dense à proximité de ces cours d’eau. Ce n’est que 24 heures après le début des précipitations (le 13 novembre au matin), que les eaux des affluents de l’Aude atteignent les basses plaines. Celles-ci sont déjà gorgées d’eau. Des ruptures de digues de protection se produisent sous la pression des eaux qui aggravent la situation et recouvrent des lotissements d’une hauteur d’eau de plus de deux mètres. Le niveau de la mer a augmenté de plus d’un mètre et se traduit par une gêne à l’évacuation des eaux fluviales. Les communes du littoral resteront sous les eaux plusieurs jours.
-
Impacts des urbanisations inconséquentes
Il est maintenant reconnu que le changement climatique a pour effet d’amplifier les conséquences de ces processus naturels.
L’urbanisation et l’aménagement du territoire peuvent constituer des facteurs aggravant sur les inondations. Le régime d’écoulement des eaux a ainsi été modifié sur beaucoup de cours d’eau avec pour conséquences :
-
les modifications des cours d’eau pour favoriser un écoulement plus rapide en temps normal mais malheureusement également en période de crues,
-
l’accroissement du ruissellement sur les bassins versants du fait d’une évolution des pratiques agricoles,
-
la diminution sensible des champs d’expansion des crues (construction de digues et de remblais).
L’implantation d’activités humaines dans une zone géographique inondable constitue l’élément directement responsable des conséquences catastrophiques d’un événement. Dans ce contexte, la prévention des risques dans le cadre d’un aménagement des territoires réfléchi et maîtrisé semble incontournable.
-