Le risque de tsunami

 

Introduction

Un tsunami est une onde marine exceptionnelle qui en s’approchant des côtes s’exprime par des vagues de très haute énergie et une inondation des zones côtières. Le terme est dérivé d’un mot japonais qui signifie « vague portuaire » (harbor wave). D’autres appellations ont été utilisées, telles que vague marine sismique (seismic sea wave), les séismes étant la première cause de tsunami (82,3 %). Les côtes proches des zones de convergence de plaques, et particulièrement les arcs insulaires, sont donc les plus exposées : Chili et Pérou (1570, 1746, 1868, 1960), Japon (332 tsunamis répertoriés entre 684 et 1984, dont 65 évènements majeurs, Caraïbes (127 tsunamis dont 80 clairement avérés et plus de 3 000 victimes depuis 1498, Indonésie (12 tsunamis ayant entraîné des pertes humaines depuis 1965, 236 tsunamis durant les 4 derniers siècles), Kamtchatka et Kouriles (124 tsunamis entre 1737 et 1990, dont 15 ayant traversé une partie du Pacifique. En terme de risque, les côtes les plus vulnérables sont celles alliant l’aléa de tsunami à de fortes densités de population et d’infrastructures économiques .
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Sources potentielles de tsunamis répertoriés depuis 2000 ans et principales régions vulnérables. (1 : Golfe du Bengale ; 2 : Indonésie ; 3 : Philippines ; 4 : Japon ; 5 : nord Nouvelle-Zélande ; 6 : Hawaï ; 7 : côtes de Washington et de la Californie ; 8 : Amérique Centrale ; 9 : Pérou ; 10 : Chili central ; 11 : Antilles ; 12 : Bassin orientale de la Méditerranée).
Avant le dramatique tsunami du 26 décembre 2004 dans l’Océan Indien (plus 220 000 morts et disparus), les 11 tsunamis majeurs de ces quinze dernières années ont entraîné la mort de 5000 personnes. Le total des victimes de tsunamis depuis 450 ans s’élève désormais à environ 470 000, dont 110 000 au Japon et 220 000 en Indonésie. La propagation des ondes de tsunamis sur de longues distances affecte aussi des secteurs où la sismicité est faible, comme les îles du Pacifique (Hawaï, Polynésie), le Sri Lanka et la côte est de l’Australie. Certes moins menacées en terme de récurrence, les côtes européennes situées à proximité des principales failles marquant la limite entre les plaques africaine et eurasiatique ne sont pas épargnées, comme l’atteste le tsunami de Lisbonne en 1755 (environ 90 000 morts).
Outre les séismes, les glissements de terrain peuvent aussi générer des tsunamis destructeurs. Le séisme de 1964 en Alaska (Good Friday) généra au moins 20 glissements de terrain. Celui de Lituya Bay (Alaska) du 9 juillet 1958 de magnitude 7 provoqua un glissement qui repoussa la mer jusqu’à 60 m d’altitude sur la rive opposée, ravageant la forêt.
Les tsunamis initiés par des éruptions volcaniques représentent seulement 5 % des tsunamis répertoriés. En revanche, leur magnitude peut être beaucoup plus forte que celle des tsunamis d’origine sismique. Les deux tsunamis les plus catastrophiques de l’Histoire furent déclenchés par l’éruption d’un volcan insulaire de type explosif : Santorin vers 1470 avant JC et Krakatoa en 1883. Dans ces deux cas, la formation de plusieurs tsunamis successifs fut lié à une éruption plinienne suivie de la formation d’une caldeira qui abaissa le plancher océanique de plusieurs centaines de mètres.
 

Quelques rappels sur les caractéristiques hydrologiques des tsunamis

Les caractéristiques hydrologiques des tsunamis dépendent du phénomène les initiant, de la profondeur du plancher océanique et de la morphologie côtière. Les termes utilisés pour décrire les caractéristiques hydrologiques des vagues océaniques sont applicables aux tsunamis. Ainsi, la longueur d’onde désigne la distance entre deux crêtes successives. Elle est en moyenne de 100 m pour les vagues océaniques mais peut dépasser 200 km pour les ondes de tsunami. L’amplitude correspond à la dénivellation entre la crête et le niveau normal de la mer. En pleine mer, elle reste généralement faible (< 1 m). Les ondes de tsunami se propagent en pleine mer à des vitesses de plusieurs centaines de km/h (180 km/h pour le tsunami du 2 septembre 1992 au Nicaragua, 800-900 km/h pour le tsunami du 26 décembre 2004 dans l’Océan Indien).
La vitesse de propagation augmente avec la puissance de l’impulsion initiale (origine du tsunami) et avec la profondeur d’eau, mais diminue avec la rugosité de fond. Les tsunamis sont donc freinés brutalement dès qu’ils atteignent la plate-forme continentale, d’où une augmentation très forte de l’amplitude de la vague au contact avec la côte. Il se produit alors un transfert entre l’énergie cinétique déclinante et l’énergie potentielle grandissante. Des modalités de ce transfert dépendent les caractéristiques du tsunami à la côte, sa propagation dans les terres et sa capacité destructrice.
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Propagation de l’onde du tsunami du 26 décembre 2004 dans l’Océan Indien
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Lavigne et Paris, 2006
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Diminution de la longueur d’onde et de la vitesse de propagation d’un tsunami en fonction de la profondeur d’eau.
Les tsunamis sont classés en fonction de leur magnitude, qui correspond à l’énergie totale libérée par le tsunami. Plusieurs échelles de magnitude sont utilisées. Celle introduite par Imamura et développée par Iida (1956) est la plus simple et la plus pratique, mais elle ne prend pas en compte l’extension spatiale des tsunamis. Les six niveaux de magnitude (m) sont calculés à partir du logarithme (en base 2) de la hauteur maximum de la vague principale à la côte (Hmax) : m = log2Hmax. Le tsunami du 26 décembre 2004 fut de magnitude 2 au Sri Lanka, en Thaïlande et en Inde et de magnitude 4 sur la côte nord-ouest de Sumatra, située entre 50 et 250 km de l’épicentre.
Une dernière notion importante en terme de risque concerne le run-up, qui désigne l’altitude maximum atteinte par le tsunami à l’intérieur des terres, sur les falaises ou les versants côtiers. Le run-up maximum mesuré lors du tsunami de l’Océan Indien en 2004 a atteint 51 m au sud de Banda Aceh.
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F. Lavigne
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Run-up maximum atteint par le tsunami du 26 décembre 2004 à Aceh, Sumatra.
 

Impact environnemental des tsunamis

L’impact d’un tsunami sur l’environnement est à la fois d’ordre géomorphologique, hydrologique et biologique. Le rôle des évènements catastrophiques, comme les tsunamis, les ouragans et les tempêtes, dans l’évolution morphologique et sédimentaire des milieux côtiers est un thème de plus en plus abordé dans la littérature scientifique (Dawson, 1994 ; Bryant et al., 1996 ; Scheffers & Kelletat, 2003 ; Nott, 2004). Les grands tsunamis provoquent des crises géomorphologiques majeures car ils impliquent en quelques minutes une érosion côtière localement très accentuée (abrasion des platiers, érosion des falaises, recul des plages), une mobilisation et un dépôt dans les terres de sédiments sous-marins et littoraux. Cet impact s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres de côte et jusqu’à plusieurs kilomètres dans les terres, dévastant ainsi plusieurs centaines de km².
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Lavigne et al., 2006
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Modalités de la propagation du tsunami du 26 décembre 2004 à Lhok Nga.
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Lavigne et al., 2006
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Modalités de la propagation du tsunami du 26 décembre 2004 à l’Est de Banda Aceh .
Beaucoup de travaux ont déjà été réalisés sur les dépôts de sables et blocs associés à d’anciens tsunamis, surtout sur les côtes proches des frontières de plaques convergentes. L’identification et l’analyse de ces dépôts permettent de mieux comprendre les traces sédimentologiques laissées par les anciens tsunamis, de reconstituer leur étendue, de déterminer des intervalles de récurrence des séismes et d’estimer les risques de tsunami à l’échelle locale et régionale. C’est pourquoi les missions scientifiques post-tsunami sont nécessaires pour établir des liens entre les traces géomorphologiques et sédimentaires des anciens tsunamis et les processus et formes observés suite à un tsunami (Synolakis & Okal, 2005). De telles investigations, plus ou moins complètes, ont été menées lors des tsunamis de 1992 à Florès (Shi et al., 1995) et au Nicaragua, de 1993 à Hokkaido, de 1994 à Java Est, de 1998 en Papouasie Nouvelle-Guinée, du Pérou en 2001, à Banda Aceh en 1994 (Lavigne et al., 2006) et sur la côte sud de Java (Lavigne et al., 2007). Cependant, l’impact géomorphologique des tsunamis demeure peu documenté, de même que leur impact sur l’environnement en général. Seuls quelques auteurs ont tenté de corréler les dépôts de tsunami avec les formes et processus d’érosion (Shi et al., 1995 ; Bryant et al., 1996 ; Gelfenbaum & Jaffe, 2003).
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Lavigne et al., 2007
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Répartition des run-up du tsunami du 17 juillet 2006 sur la côte sud de Java.
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Lavigne et al., 2007
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Tsunami du 17 juillet 2006 inondant un bassin à crevette près de Pangandaran au sud de Java (haut). Même site en temps normal le 30 août 2006.
Les effets biologiques des tsunamis sont pour l’instant peu documentés. L’action mécanique des vagues entraîne des destructions massives au sein des biocénoses néritiques, intertidales et littorales. Les récifs coralliens sont particulièrement sensibles aux tsunamis (ex. Hawaï, Indonésie, Polynésie), du fait de l’impact mécanique initial et des matières demeurant en suspension plusieurs semaines après l’évènement. L’incursion d’eau salée dans les terres peut également être néfaste pour les cultures et pour certaines espèces ayant résisté au choc (ex. Florès 1992). Les tsunamis ayant frappé l’Indonésie en 1992 et 1994 et la Papouasie-Nouvelle Guinée en 1998 (Gelfenbaum et Jaffe, 2003) ont montré le rôle protecteur de la mangrove, qui réduit l’impact mécanique des tsunamis ; ce que confirment les modèles analogiques. Or, dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, l’anthropisation galopante et la pression agricole menacent les mangroves du fait de l’exploitation de leurs ressources (bois de palétuviers), de l’augmentation des apports turbides liée à l’érosion accélérée des versants déboisés, et de l’implantation de bassins à crevettes. Dans de nombreuses régions, les marais maritimes ont été asséchés et poldérisés, et la mangrove a laissé place à de nouvelles terres agricoles, industrielles ou urbaines (ex. littoral de Banda Aceh, Sumatra).
 

État des lieux sur la prévision et la prévention des tsunamis

Malgré les catastrophes retentissantes du XIX siècle (36 000 morts au Krakatau en 1883 et 26 000 à Honshu en 1896), il faudra attendre la seconde moitié du XX siècle pour voir apparaître des publications scientifiques sur les tsunamis, sous l’impulsion des Japonais. Les tsunamis majeurs de ces dernières années ont eu un impact médiatique et scientifique important. Le Japon fait figure de leader, à la fois en matière de modélisation des tsunamis, de prévision et de protection des zones exposées. Seule l’aire Pacifique bénéficie actuellement d’un réseau de surveillance international. Les tsunamis de Hawaii en 1946 et du Chili en 1960 ont en effet précipité la création de l’International Tsunami Warning System (ITWS) et de l’International Tsunami Information Center (ITIC), dont l’objectif est de détecter, localiser et déterminer la magnitude des tsunamis d’origine sismique. Son organisation est basée sur des centres de surveillance régionaux, au rang desquels le Pacific Tsunami Warning Center (PTWC, 26 États-membres) est le plus actif. Ces centres sont administrés par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA, Honolulu) et bénéficient des données sismiques de l’U.S. Geological Survey (USGS). L’intérêt d’une collaboration internationale est de centraliser les données fournies en temps direct par un ensemble de stations sismiques, de marégraphes et un réseau de bouées flottantes détectant les variations de la pression de l’eau en profondeur (DART : Deep-Ocean Assessment and Reporting on Tsunamis). Les populations vivant à plus de 750 km de l’épicentre sont ainsi prévenues 1 heure avant l’arrivée du tsunami. Des systèmes d’alerte régionaux comme l’Alaska Tsunami Warning Center (ATWC), le French Polynesia Tsunami Warning Center (FPWC, Tahiti) ou le Tsunami Hazards Reduction Utilizing Systems Technology (THRUST, Valparaiso), ont été mis en place afin de donner l’alerte 10 à 12 minutes après un séisme, pour les populations situés entre 100 et 750 km. Au Japon, le système Ocean Bottom Seismograph (OBS) permet de détecter les séismes en pleine mer à l’aide de 180 sismographes, 103 marégraphes (dont 6 sont télémétrés) et de capteurs des variations de pression exercée par l’eau, à 2 200 m et 4 000 m de profondeur. Pour ce dernier système, les signaux générés par les marées et les signaux parasites qui modifient la pression de l’eau (changements de température) sont effacées à l’aide de filtres de différentes fréquences. Les données sont transférées toutes les 20 secondes par câble à des stations de surface, puis par téléphone au Tsunami Warning Center de la Japan Meteorological Agency (JMA, Tokyo). Au Japon, un séisme devient tsunamigénique à partir de 7 degrés sur l’échelle de Richter. Une magnitude de 7,5 entraîne généralement un tsunami de plusieurs mètres d’amplitude. Cas unique au monde, la prévention est fondée sur une modélisation numérique spatialisée de la propagation des ondes. À partir de 4 000 sites de séismes sous-marins potentiels, plus de 100 000 cas scénarios de tsunamis ont été programmés. En cas de séisme, la recherche de la simulation la plus proche de la réalité s’effectue en seulement une minute trente. Les populations situées à moins de 100 km du séisme sont alertées deux à trois minutes avant l’arrivée du tsunami.
Le tsunami de Flores en décembre 1992 et surtout celui de décembre 2004 à Aceh ont joué un rôle moteur dans la sensibilisation des communautés politiques et scientifiques et entraîné une véritable prise de conscience des autorités indonésiennes. Les derniers tsunamis ayant frappé l’Indonésie (1992, 1994, 1996, 2004 et 2006) posent à la fois des problèmes scientifiques (par exemple : variations des hauteurs de vagues, nombre de vagues différent suivant les endroits ; déferlement parfois à la côte, parfois dans les terres), politiques et sociaux (manque de prévision et de prévention), et environnementaux. Bien avant le tsunami du 17 Juillet 2006, celui de 1994 qui avait touché le sud de Java avait déjà révélé des lacunes dans le domaine de la gestion et de la prévention du risque : télécommunications défaillantes, voies de communication en mauvais état, manque de matériel destiné aux réfugiés, distribution des vivres inégalement répartie, manque de prévention envers les populations et manque d’expérience des autorités. L’accent a été mis sur la surveillance sismique. Le réseau de sismographes TREMORS, crée en 1996 et géré par le BMG (Meteorological and Geophysical Agency), est opérationnel 24h/24. La nouvelle du séisme du 26 décembre 2004 fut transmise instantanément aux autorités indonésiennes et diffusée sur une chaîne de télévision nationale (Metro TV) cinq minutes avant l’arrivée du tsunami sur les côtes de Banda Aceh. L’Indonésie demandait depuis plusieurs années un système d’alerte, jugé alors trop coûteux. Mais c’est surtout l’absence de politique de prévention auprès des populations et d’aménagements des littoraux qui expliquent l’ampleur de la catastrophe. La moitié des tsunamis ayant touché l’Indonésie ont causé des pertes humaines, contre 15 % seulement au Japon. Les travaux en matière de modélisation et de cartographie des risques, d’aménagement des littoraux et de prévention restent très limités en Indonésie et ne sont pas à la hauteur des risques encourus par ce pays, malgré les progrès récents en ce domaine (Lavigne et Paris, 2006).
 

Conclusion : tirer les enseignements de la catastrophe du 26 décembre 2004

Le tsunami du 26 décembre 2004 a touché une dizaine de pays dont certains situés à plusieurs milliers de kilomètres de l’épicentre du séisme. C’est le tsunami le plus meurtrier et la 3e catastrophe naturelle la plus meurtrière de tous les temps. L’Indonésie fut le pays le plus affecté par ce tsunami (180 000 victimes à Sumatra, dégâts chiffrés à 2 milliards de dollars, plus 300 km de côte dévastés).
Au-delà du retentissement médiatique, cet événement a confirmé un paradoxe crucial en matière de connaissance et de prévention du risque de tsunami : les apports scientifiques sont de plus en plus nombreux et la connaissance physique du phénomène progresse sans cesse, alors que les politiques de prévention sont la plupart du temps dérisoires et très inégales suivant les pays. Par ailleurs, les effets du tsunami sur la côte ouest de Sumatra, notamment l’impact géomorphologique, la destruction des écosystèmes (récifs coralliens, mangroves) et des cultures, ont mis en évidence le fait que la vulnérabilité n’est pas seulement socio-économique, mais aussi environnementale.