Gestion des milieux côtiers
Le texte présenté propose un premier aperçu des enjeux de la gestion du risque en milieu côtier dans un contexte de développement durable. Les spécificités côtières en matière de gestion des risques seront tout d’abord définies. Une étude de cas suivra et illustrera l’analyse des risques côtiers sur le terrain. Finalement, la gestion intégrée de la zone côtière comme mode de gestion des risques côtiers sera présentée, avant de conclure.
La définition des systèmes côtiers doit être à la fois suffisamment souple pour tenir compte de la multi-dimensionnalité de la zone côtière et suffisamment précise pour en définir les frontières analytiques opérationnelles. En outre, le concept de zone côtière se trouve à la confluence de réalités géographiques et de construits sociaux liés à ces réalités. Finalement, dans une perspective d’analyse de risque, une définition de la zone côtière doit s’inscrire dans un contexte de gouvernance environnementale. Nous proposons ici la définition suivante obtenue suite à l’analyse du code français de l’environnement et de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer:
« la zone côtière est constituée
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proches d’une étendue d’eau importante,
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participants aux équilibres économiques et écologiques littoraux et
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reconnus comme tels par les personnes y vivant;
(2) de la zone maritime en interaction significative avec ces territoires. »
Les spécificités de la zone côtière
La zone côtière et les risques côtiers qui y sont associés constituent un des enjeux les plus importants du développement durable en raison de caractéristiques qui lui sont uniques :
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concentration des populations humaines (60 % de la population mondiale vivent à moins de 60 km de la mer);
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multiplicité des modes d’utilisation des ressources naturelles (pêche, aquaculture, potentiel éolien) et paysagères (tourisme, infrastructures portuaires, industries);
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multiplicité des structures de gouvernance présentes (international, nation, région et département ou province, collectivités locales, associations professionnelles, conservatoires du littoral et autres);
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émergence récente et simultanée d’une série de transitions liées à, ou générant, des incertitudes croissantes (état des stocks halieutiques, développement du tourisme côtier, développement de l’aquaculture, dynamiques migratoires).
À ce titre, les zones côtières font l’objet d’un intérêt croissant, intérêt qui met fréquemment en évidence combien les risques côtiers sont difficiles à appréhender sans tenir compte pleinement de la multi-dimensionnalité côtière, de l’évolution non déterministe des dynamiques sociotechniques observées en milieu côtier et de la présence de nombreuses boucles de rétroaction entre systèmes côtiers humains et systèmes côtiers naturels. La zone côtière représente l’archétype de l’éco-socio-système complexe, système pour lequel il importe, pour l’appréhender, d’utiliser une approche qui transcende les disciplines en les intégrant.
Les différents risques côtiers
En considérant à nouveau le code de l’environnement, il est possible d’identifier les risques suivants et de les classer. Une première catégorie de risques liés à la zone côtière sont associés aux risques naturels d’origine maritime : tempêtes, érosion, submersion, tsunamis et autres. Une seconde catégorie de risques associés à la zone côtière sont liés aux activités d’exploitation des ressources naturelles (surpêche, impact de l’aquaculture, impact du développement de l’éolien, saisonnalité des activités), aux activités industrielles qui s’y concentrent (pollution régulière ou accidentelle) et aux mouvements migratoires vers, ou originaire de, la zone côtière (impact foncier, démographique). À ces risques sont liés une série d’enjeux de gouvernance dont quelques exemples sont repris dans l’exemple de la baie de Caraquet (voir point 2 ci-dessous).
Exemple : le bassin versant de la baie de Caraquet (Nouveau-Brunswick, Canada)
Description du territoire étudié
Située dans le nord-est du Nouveau-Brunswick sur la côte est du Canada, le territoire qui fait l’objet du présent exemple couvre la baie de Caraquet et son bassin versant (plus d’information ainsi que différentes cartes et données sont disponibles sur le site http://www.baiedecaraquet.com). Ce territoire comprend 3 rivières, dont la rivière Caraquet et les 12 ruisseaux qui s’y déversent et couvre les villes dont les activités ont un impact environnemental sur la baie de Caraquet et son bassin versant. Sur ce territoire, se trouvent la ville de Caraquet, les villages de Maisonnette, Saint-Léolin, Bertrand et Bas-Caraquet, de même que 3 districts de services locaux, à savoir Village-des-Poiriers, Dugas et Pokesudie. La limite du territoire maritime est définie par le territoire de pêche des différentes flottilles présentes. La population du bassin versant compte un peu plus de 15.000 habitants, sa superficie couvre 420 km2.
Thème, acteurs et enjeux de gouvernance rencontrés dans le milieu aquatique
Du point de vue de la pêche et de l’aquaculture 3 thèmes sont rencontrés :
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Conflits d’usage observés ou potentiels :
ces conflits sont liés au partage des ressources spatiales et des ressources halieutiques. Ce thème implique les acteurs suivants : aquaculteurs, pêcheurs à pied, pêcheurs côtiers, pêcheurs semi-hauturiers, ministères provinciaux et fédéraux ayant les pêches et l’aquaculture dans leur mandat. Les risques perçus sont liés à l’escalade de ces conflits qui ont pris par le passé des tours relativement violents ayant requis l’intervention des forces de l’ordre. Les enjeux de gouvernance associés à ce thème sont ceux, assez traditionnels, de répartition d’un bien commun ainsi que la mise en œuvre de mécanismes de partage ou de prise de décision permettant d’éviter la polarisation et l’escalade des conflits. La perception de ces risques est exacerbée par les inquiétudes quant aux stocks des différentes espèces débarquées à Caraquet.
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Qualité de l’eau de la baie :
cette qualité est affectée par la présence de coliformes fécaux, présence ayant justifié la fermeture pour la récolte des bancs et de baux ostréicoles, en outre la présence de matière organique en suspension fait également l’objet d’inquiétudes. Ce thème implique les acteurs suivants : pêcheurs à pied et aquaculteurs -- première personnes touchées par la qualité de l’eau de la baie -- ainsi que les acteurs identifiés comme responsables potentiels ou réels des contaminations par coliformes fécaux ou par matière organique -- à savoir les propriétaires de résidences secondaires dont les fosses septiques sont déficientes, les exploitants de terres agricoles épandant du fumier ou du lisier sur leurs champs, les exploitants forestiers ainsi que les exploitants de tourbières – et finalement les agences des différents paliers de gouvernement chargés de la réglementation des activités en question. Les risques perçus dans ce cadre sont ceux associés aux pertes économiques liées à la fermeture des bancs et baux aquacoles que ce soit pour des raisons de santé publique ou pour des raisons de baisse de productivité. Les enjeux de gouvernance liés à ce thème touchent la question du respect des règlementations existantes portant sur les eaux usées et les coupes forestières ainsi que sur la mobilisation de moyens financiers publics destinés à permettre aux industries présentes d’opérer en étant moins dommageables.
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Protection physique de la baie :
la baie de Caraquet est actuellement protégée par une flèche dunaire (Dune de Maisonnette). Cette flèche dunaire limite les échanges d’eau entre la baie et le Golfe du Saint-Laurent ce qui vient en modifier la salinité et la température, ces deux éléments expliquant la productivité élevée de la baie de Caraquet. Néanmoins cette dune est depuis quelques années traversée par une brèche et de fortes inquiétudes sont exprimées quant à sa pérennité. Il s’agit d’un thème important pour les aquaculteurs, les pêcheurs à pied et les pêcheurs côtiers et qui implique les agences gouvernementales provinciales et fédérales. L’enjeu de gouvernance associé à ce risque est lié à la compréhension du caractère éphémère des flèches dunaires, caractère qui ne doit pas être exacerbé par des travaux éventuels en amont de la dérive littorale.
Thème, acteurs et enjeux de gouvernance rencontrés dans le milieu terrestre
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Saisonnalité des activités économiques côtières et risques liés à la (dé)régulation par l’État :
la majorité des activités économiques du bassin versant de la baie de Caraquet sont par nature saisonnières (pêche, aquaculture, transformation des produits de la mer, tourisme, exploitation des tourbières, agriculture et foresterie). Cette caractéristique a généré une série de mécanismes de soutien financier par l’État et rend les personnes vivant de ces activités saisonnières particulièrement sensibles aux changements en matière de politique d’accès aux fonds publics (assurance emplois, revenu minimum et autres). Il est difficile d’identifier avec précision les acteurs liés à ce thème dans la mesure où il touche la vie de l’ensemble des habitants et qu’il s’agit pour les agences gouvernementales présentes d’une question absolument centrale à leurs activités. Indépendamment des risques liés à l’absence de revenus et à la pauvreté, le risque associé à la saisonnalité des activités et aux faibles revenus potentiels découlant de cette saisonnalité, le risque dominant lié à ce thème et exprimé par les acteur est celui d’une émigration massive vers des régions mieux nanties
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Inondations et intrusion d’eau salée liées à la montée du niveau marin :
ce thème, relativement récent et associé aux débats sur les changements climatiques commence à se manifester à Caraquet. Néanmoins le débat entourant ce thème n’est ni structuré ni stabilisé. Il est par conséquent prématuré d’en effectuer une cartographie des enjeux, même sommaire.
De façon à capturer la complexité de l’analyse et de la gestion des risques côtiers à travers l’exemple présenté, nous avons fait le choix d’utiliser une approche centrée sur les enjeux de gouvernance. Il s’agit d’une approche analytique qualitative consistant en l’identification, pour un thème donné, des acteurs, des risques et des enjeux de gouvernance en présence et des représentations sociales qu’en ont les acteurs. Dans le contexte de l’analyse des risques côtiers l’accent est mis sur les enjeux de gouvernance dans un contexte de gestion des risques et sur le positionnement des acteurs par rapport à ces enjeux de gouvernance.
Si une approche centrée sur les enjeux s’est imposée ici pour ses vertus analytiques, il est important de souligner qu’elle permet, sur le terrain, un premier pas pour l’accompagnement des acteurs dans les délibérations associées à la prise de décision dans un contexte multi-enjeux, multi-acteurs et multi-critères. Cette approche est appelée de plus en plus fréquemment « Approche par la cartographie des enjeux. » Dans l’exemple qui suit, différents acteurs clés et différents enjeux de gouvernance sont présentés. L’exemple présenté n’a aucune prétention d’exhaustivité, l’objectif étant de permettre au lecteur d’avoir un tout premier aperçu de la nature des risques côtiers dans leur multi-dimensionnalité.
Développement d’une structure de gouvernance des risques côtiers à Caraquet
En 1993, face à ces différents défis, et forte d’une société civile à l’histoire riche d’engagements collectifs destinés à tenter d’améliorer les conditions de vie dans la région, une partie de la population de Caraquet s’est mobilisée pour tenter de gérer localement ces différents risques tout en conservant une étroite collaboration avec les différents paliers de gouvernement. Une première étape a consisté en la mise en œuvre de mesures d’assainissement de la baie de Caraquet afin de permettre à l’exploitation ostréicole de prospérer sans devoir faire face à des fermetures sanitaires. Les résultats de cette étape se sont concrétisés en 1996 par la réouverture non conditionnelle de zones ostréicoles fermées régulièrement depuis plus de 10 ans.
Ensuite, en s’inscrivant de façon croissante dans la perspective du développement durable, un partenariat multilatéral est devenu opérationnel et a donné naissance en 2001 au « Partenariat pour le gestion intégrée de la baie de Caraquet ». Cette structure de gouvernance regroupe des représentants de l’ensemble des secteurs de l’économie ainsi que des représentants des différents paliers de gouvernement et de la société civile. Cette dynamique s’inscrit dans un courant mondial, formalisée notamment lors du sommet de Rio, le courant de la Gestion intégrée de la zone côtière (GIZC). Il s’agit d’un modèle de gouvernance de la zone côtière dont l’adoption, bien que récente, connaît un succès important à travers le monde.
La gestion intégrée de la zone côtière
Le concept de la GIZC est assez récent (1980-1990). Contrairement aux approches qui l’ont précédée et qui se basaient sur les différents secteurs de l’économie, la GIZC est une approche de la gouvernance qui intègre tous les secteurs d’activités qui affectent la zone côtière et ses ressources et qui prend en compte simultanément les aspects sociaux, économiques et environnementaux. La GIZC implique la création d’un nouveau palier de gouvernance au cœur duquel se trouve la participation de la société civile. Ce palier de gouvernance peut soit prendre des décisions, soit recommander une décision à une instance ayant juridiction sur la zone considérée.
Bien qu’il n’y ait pas de définition universellement acceptée de la GIZC et qu’elle fasse référence à de nombreux débats et discussions, les auteurs s’entendent sur certains points centraux. Comme exemple, voici deux des définitions courantes dans la littérature anglo-saxonne :
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“A multidisciplinary process that unites levels of governments and the community, science and management, sectoral and public interests in preparing and implementing a program for the protection and the sustainable development of coastal resources and environments.”
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“The aim of integrated coastal zone management is to promote the sustainable use of the coastal zone by balancing demands on its natural resources with the economic, cultural and social needs of the area and by seeking to resolve conflicts of use, having regard to the needs of present and future generations.”
L’adoption de la GIZC comme mode de gestion des risques côtiers trouve sa justification à différents niveaux :
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ce mode de gouvernance autorise la prise en compte « à la source » des interactions potentielles ou réelles entre acteurs, elle répond donc à l’impératif de la prise en compte de la complexité côtière;
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ce mode de gouvernance permet la circulation d’information entre acteurs impliqués et répond ainsi à un impératif d’efficacité dans la gestion de l’information;
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ce mode de gestion, par nature participatif, répond à un des impératifs éthiques du développement durable à savoir la participation aux prises de décisions des populations les plus touchées par les décisions prises.
Cette brève section introductive aura, nous l’espérons, réussi à permettre au lecteur d’appréhender le fait que la gestion des risques côtier se fait dans un contexte de complexité élevée, complexité nécessitant un mode de gouvernance des risques particulier. Ce mode de gouvernance, la gestion intégrée de la zone côtière (GIZC), doit permettre la prise en compte de la complexité côtière, prise en compte opérationnalisée par la mise en place de structures multilatérales et participatives. Cette mise en place est en cours, les résultats de la GIZC appartiennent essentiellement à l’avenir, les expériences en cours semblant être pleines de promesses.