Une politique nationale qui se veut pragmatique sans réussir encore à répondre aux besoins des citadins
En France, à côté des grandes lois existant dans le domaine de l’air et de l’eau, les sols pollués apparaissent comme un secteur moins bien pris en compte par les politiques environnementales. Dans certains pays européens, le sol est protégé comme ressource : ainsi, aux Pays-Bas, le principe sous-tendant la loi sur la protection des sols, mise en œuvre en 1987, est que la pollution des sols n’est pas autorisée. La gestion des sites pollués peut être reliée à celle de déchets. En France, la réglementation applicable aux sols pollués est séparée de celle de la gestion des déchets (même si le cadre réglementaire s’appuie à la fois sur la réglementation relative aux déchets et aux ICPE).
La France ne possède pas de législation spécifique aux sites contaminés. Le principal document réglementaire dans ce domaine est une lettre circulaire aux Préfets de département en date du 3 décembre 1993, prise au titre de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). La loi de 1976 relatives aux ICPE fait obligation à l’exploitant d’un site de prévenir les pollutions et de remettre le site en état en fin d’exploitation La circulaire de 1993 établit les principes actuels de la politique nationale : recensement systématique des sites pollués, traitement en fonction de l’usage et des impacts sur la santé et l’environnement, méthode d’évaluation des risques. L’utilisation des outils de la gestion des sites et sols pollués a été étendue dans la pratique hors du strict champ des installations classées, notamment pour l’application de la Loi n° 75-633 du 15 juillet 1975, relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux, qui introduit le principe de pollueur-payeur.
La définition par un ministère d’un site pollué date de 1994. Pour le MEDD, un site pollué est "un site dont le sol, le sous-sol ou les eaux souterraines ont été pollués par d'anciens dépôts de déchets ou l'infiltration de substances polluantes, cette pollution étant susceptible de provoquer une nuisance ou un risque pérenne pour les personnes ou l'environnement."
Cette définition reflète l'orientation prise par la France en matière de réhabilitation des sites pollués, de calculer le risque site par site, en fonction de l'usage et de la réutilisation des lieux. En effet, le site pollué n'est pas défini dans l'absolu, mais par rapport à son usage actuel ou futur, à partir d'études de sols qui permettent une évaluation simplifiée des risques
Cette politique est l’aboutissement du retour d’expérience de la gestion de nombreux sites pollués, tant en France qu’à l’étranger. A la suite des incidents majeurs, comme Love Canal dans l’Etat de New – York, Times Beach dans celui du Missouri ou Lekkerkek aux Pays-Bas, une demande politique forte s’est exprimée sur un contrôle maximum des risques, avec enlèvement ou confinement complet de la pollution. Les retours d’expériences des programmes engagés ont débouché sur le constat « qu’un strict contrôle du risque (par exemple, par traitement de tous les sites jusqu’aux valeurs du bruit de fond naturel ou pour les usages les plus sensibles) n’est ni techniquement, ni économique faisable. A titre d’exemple, quelques 350 sites étaient identifiés aux Pays – Bas comme contaminés et devant sans doute faire l’objet d’une réhabilitation. En 1995, le nombre avait cru jusqu’à 300.000 sites pour un coût de traitement de plus de 13 milliards d’écus. Des circonstances similaires existent dans la plupart des pays industrialisés. En conséquence de quoi, un besoin de protection des sols et des eaux souterraines est apparu et le concept de compatibilité pour un usage (“ fitness for use ”) est devenu le principe de base des stratégies de gestion et réhabilitation des sites contaminés. » (7) Le MEDD s’appuie sur ces constats pour affirmer que « ce n’est pas tant la présence de polluants dans les sols qui est problématique en termes de risque, mais le fait que cette pollution soit mobilisable naturellement (diffusée par les eaux souterraines par exemple) ou par de nouvelles activités humaines et donc susceptible d’affecter l’environnement ou une population exposée. » (8)
La Circulaire du 10 décembre 1999 relative aux sites et sols pollués, principes de fixation des objectifs de réhabilitation, non parue au JO., précise que « les objectifs de réhabilitation seront ainsi fixés de façon à ce que le terrain, une fois traité, soit adapté à l’usage envisagé et à ce que le sol et le sous sol ne présentent pas d’inconvénient, y compris à terme, au regard des intérêts visés par la réglementation ICPE». L’absence d’objectifs de qualité est ainsi une autre caractéristique de l’approche française, dans une volonté de ne pas établir de valeurs standard de qualité des sols. Les objectifs de réhabilitation sont déterminés à partir des résultats de l’évaluation détaillée des risques.
Au principe de spécificité et de précaution s’ajoute le principe de proportionnalité, qui doit veiller à ce qu’il y ait cohérence entre le degré d’approfondissement des études, l’importance de la pollution et son incidence prévisible. Enfin, un principe de transparence « vise à imposer une règle pour que les choix (hypothèses de travail, outils utilisés, degré d’approfondissement, éléments de connaissance et incertitudes résiduelles, …) inhérents à la démarche d’évaluation des risques soient présentés, expliqués et discutés, notamment lors de concertations entre les différentes parties intéressées. » (MEDD, portail sites et sols (potentiellement) pollués ou radio-contaminés)
Une politique de prévention et de dépollution encore limitée à un face à face entre les services de l’Etat et les exploitants
La définition des politiques publiques en matière de sols pollués est du ressort du MEDD et elle s’exerce essentiellement dans le cadre des ICPE.
Pour que le principe d’un traitement d’un sol en fonction de l’usage et du degré de pollution soit respecté, il faut que la connaissance du site, de sa pollution et des risques potentiels occasionnés soit détenue par le plus grand nombre de personnes. Ensuite, la Loi sur les risques de juillet 2003 prévoit l’obligation d’information par le vendeur d’un site, sur le risque connu de pollution des sols. Plusieurs bases sont en cours de constitution pour répondre à ces obligations. L'inventaire Basol des sites potentiellement pollués constitue une base de données couplée à un tableau de bord des interventions menées par les pouvoirs publics et les gestionnaires de sites. Pour l’historique des sites industriels et la mémoire des pollutions, Le ministère a chargé le BRGM de la constitution de la base Basias et de sa gestion, consultable sur Internet. Cependant, Christian Legrand signale que le MEDD considère que des sites aux sols pollués abandonnés depuis plusieurs décennies, ne présentent plus de risques potentiels. Il rappelle que ces sites peuvent redevenir actifs en matière de pollution s'ils font l'objet de travaux divers sans prise de précautions particulières. « En cela, il est donc essentiel que les vendeurs, acheteurs, aménageurs et constructeurs détiennent les informations historiques relatives aux sites considérés. Cette recherche sur l'entité historique des sites doit être conduite très en amont de la détermination de l'usage qui sera fait du lieu. Actuellement, ce n'est pas toujours le cas... » (9)
La méthodologie d’une gestion spécifique et selon les usages a été élaborée par les services de l’Etat sous l’autorité du MEDD. La circulaire du 23 avril 1996 a présenté les premières versions des outils élaborés à cette fin, complétée par celle du 10 décembre 1999 : les études historiques, le diagnostic initial et l'évaluation simplifiée des risques (ESR), et cela dans l'objectif de réhabiliter systématiquement l'ensemble des sites identifiés comme sensibles en considérant leur seul niveau de pollution intrinsèque. La méthodologie présentée par le MEDD repose sur une approche scientifique et médicale : l'évaluation des risques sanitaires (ERS). C'est la direction des risques chroniques (DRC) de l’INERIS qui a pour rôle l’évaluation de l’impact à long terme des substances chimiques, rayonnements électromagnétiques, déchets et sites pollués sur la santé humaine et les écosystèmes. Le guide EDR indique une méthode de calcul des risques en fonction de la catégorie des substances présentes (cancérigènes ou non), reposant sur plusieurs paramètres (le temps d'exposition, la fréquence d'exposition, le poids corporel, le temps moyenné de l'exposition), et définissant la présence d'un risque pour :
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un indice de risque (IR) supérieur à 1, ou
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un excès de risque individuel (ERI) supérieur à 10-5
Au final, « Un site est reconnu pollué lorsque l’évaluation simplifiée des risques le place soit dans la classe 1 (site prioritaire pour un diagnostic approfondi), soit dans la classe 2 (site à surveiller). » (10)
Selon Guillaume Gay, de l'INERIS, les différents usages peuvent se résumer à deux principales catégories :
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l'usage d'activités (entrepôts, bureaux, unités de production, …)
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l'usage sensible (résidentiel, lieux publics, …)
Dans l'évaluation des risques sanitaires, ce qui différencie les deux usages ce sont les hypothèses de calcul. La nature des polluants et les seuils restent les mêmes, mais les cibles, les voies d’exposition et les fréquences sont différentes. Si les contaminants sont présents mais inférieurs aux seuils, des mesures de gestion éliminant le transfert sont suffisantes (barrière, terre amendées). En revanche, des valeurs supérieures aux seuils nécessitent une intervention et un traitement de la pollution.
Cependant, l'Etat n'a pas vocation à réaliser des actions de prévention des risques sur une installation classée en fonctionnement ou arrêtée. Dans le cadre général de la législation relative aux installations classées, les pouvoirs publics s’assurent que les exploitants mettent en oeuvre les mesures de prévention appropriées mais ne se substituent pas à l’exercice de leur responsabilité. Selon la jurisprudence administrative française, « l’obligation de remise en état pèse sur l’exploitant, à moins qu’il n’ait cédé son installation et que le concessionnaire se soit régulièrement substitué à lui en qualité d’exploitant » (11). Il a par ailleurs été jugé qu’à défaut d’un exploitant présent et solvable, le propriétaire d’un site pollué peut être recherché en qualité de détenteur de déchets, alors même qu’il n’a jamais exercé la moindre activité industrielle, et que le terrain a fait l’objet de deux cessions successives (12).
Aujourd’hui, pour les services de l’Etat, la méthode a fait ses preuves. Il reste cependant un certain nombre d’interrogation comme le devenir des « sites orphelins », à la charge de la collectivité. Ensuite, comme le souligne Robert Renaud, du Service technique d’inspection des installations classées (STIIC), « Il ne faut pas parer le système de toutes les vertus. » En reprenant l’exemple d’un ancien site industriel de banlieue sur lequel une école avait été construite, il rappelle que des parents s’étaient plaint d’intoxication à partir de solvants émanent du sous sol, et que, malgré toutes les vérifications, toutes les analyses montrant qu’il n’y avait ni trace de solvant ni trace d’un quelconque produit toxique, le doute s’était installé. Aussi « N’est-il pas raisonnable de se poser alors la question : fallait-il construire un établissement scolaire sur un ancien site industriel ? » (13). Ainsi, dans le cadre de l’élaboration en cours par le MEDD des nouvelles modalités de gestion des sols pollués, les services associés insistent sur une meilleure prise en compte des objectifs pas seulement techniques et économiques mais aussi « subjectifs (l'acceptabilité sociale d'une option de gestion) pour la mise au point d'une stratégie de gestion d'un site pollué : aujourd'hui, le débat se réduit bien souvent à une discussion sur les résultats de calcul de risques sanitaires. » (14).
La plupart des catastrophes liées à la pollution des sols sont liées à un différentiel de perception des risques des différents protagonistes, occasionnant selon les cas, une mauvaise gestion de la part des pouvoirs publics (Salsigne, Metaleurop, …), ou de la part des acteurs privés (Kodak, Metaleurop, …), en regard des enjeux et des attentes de la population riveraine. Il est donc important de considérer l’ampleur, la diversité des acteurs désormais concernés par la gestion du risque au-delà du binôme services de l’Etat-exploitants/bureau d’étude, comme les habitants et les collectivités.
Alors que certains experts avancent que la catastrophe de Tchernobyl a été jusqu’à 1000 fois sous-évaluée, il est intéressant de voir se reproduire ce comportement du refus de la transparence relatif aux questions environnementales, de la part des services de l'Etat, par le blocage des inventaires départementaux existants, notamment à Paris et en Seine-Saint-Denis où les collectivités territoriales ne peuvent obtenir du préfet l’inventaire Basias réalisé (15).
Il semble que la position des pouvoirs publics d’éviter toute vague, toute mise en cause d’acteurs économiques de poids ou d’administrations défaillantes, reste bien ancrée. De plus, certaines informations pourraient avoir un impact financier considérable au travers d'une dévalorisation du patrimoine foncier concerné par un risque potentiel.
La demande du public d’un environnement de qualité est réelle et intransigeante. Or l’appréciation du danger véritable d’exposition pour les riverains est très difficile. Souvent, il est impossible de donner une image juste du risque, et les clichés disponibles nourrissent souvent des psychoses, ou rassurent de façon abusive. Ainsi, une flaque marron dans un entrepôt désaffecté, ou la présence de fûts sur un site, est immédiatement suspecte. A l'inverse, un terrain nettoyé et aplani, d'une couleur bien homogène n'est pas forcément sans risque. De nombreux espaces verts ont été construits sur d'anciennes décharges à une époque où les techniques de confinement n'étaient pas encore matures.
Le fait de fonder le niveau de traitement sur l’utilisation finale du site est critiqué car cette méthode prend en compte un type d’usage ou d’usagers, en minimisant les différents utilisateurs qui se succèderont et leur différence de sensibilité face au risque (enfant, personne âgée / adulte)
Dans une opération urbaine, pour permettre la réutilisation d’un site, il faut d’abord caractériser les pollutions, puis définir un niveau de dépollution en fonction de l’usage futur du site. Il appartient généralement au maire de définir cet usage futur, l’ancien exploitant souvent propriétaire du sol ayant la possibilité de s’opposer et le préfet la responsabilité d’arbitrer. En tant que maître d'ouvrage du renouvellement urbain, les collectivités rejoignent en partie le point de vue de l'aménageur, qui souhaite savoir :
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le coût du programme de dépollution éventuel
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son impact sur le projet et ses usages
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son impact sur les délais de maîtrise foncière et de construction
Les collectivités sont aujourd’hui confrontées à de nombreuses incertitudes, qui portent sur la connaissance des polluants (lorsqu’un site a été fermé depuis de nombreuses années, sans que l’on connaisse vraiment l’activité ou le propriétaire) mais aussi l’étendue de la dépollution : la découverte lors d’un chantier d’une pollution imprévue peut compromettre la faisabilité du projet. Or les collectivités n’ont pas forcément les moyens ou les compétences pour assurer l’ensemble de la démarche.
Dans ce cadre flou, l'action publique locale a le choix entre deux comportements fidèles chacun à une conception propre :
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le comportement pragmatique : garantir qu'on ne crée pas de menaces graves est suffisant, ou
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le comportement précautionneux : l'exposition de la population aux risques graves est moralement inacceptable.