Politiques de la biodiversité : en Europe et en France
Les pressions sur la biodiversité issues des activités humaines sont nombreuses, et agissent à toutes les échelles, de celle du site à l’échelle globale. Elles incluent l’étalement urbain, la perte d’habitat, la perte de connectivité écologique et la fragmentation des habitats par des infrastructures, la déprise agricole, la pollution chimique de l’eau, de l’air et du sol, le changement climatique, la surexploitation des ressources biologiques, l’exploitation des ressources du sol et du sous-sol, la simplification contrôlée des écosystèmes à des buts commerciaux ou esthétiques. Pratiquement tous les facteurs anthropiques de risque peuvent toucher la biodiversité, car le monde du vivant concerne le cadre de vie de l’homme même, dans son ensemble. De plus, tous les groupes sociaux bénéficient de ses services environnementaux. Cette globalité du problème demande l’intégration des politiques sectorielles.
Actuellement, les mesures politiques visent la protection de la biodiversité par plusieurs types de mesures :
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de conservation (diverses conventions internationales, Loi de 1930 - paysages, Loi de 1976 – nature)
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de gestion (ex. : le réseau Natura 2000, des mesures agri-environnementales dans le cadre de la PAC)
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de prévention (ex. : l’évaluation des risques des pesticides et des produits chimiques, du point de vue ecotoxicologique, avant la mise sur le marché)
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de réparation (ex. : décontamination de sites polluées, réhabilitation de carrières d’extraction de matériaux de construction, réintroduction d’espèces)
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de renforcement du pouvoir indirect de contrôle par d’autres acteurs de la société, comme les associations ou les consommateurs (ex. : éco-labellisation des biens de consommation).
Les outils d’intervention des gouvernements dans la politique de la biodiversité incluent :
1. Des interventions économiques
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des incitations par des prix (subventions, taxes, permis négociables)
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création de marchés et attribution de droits de propriété
2. Des interventions réglementaires
3. Information
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développement de mécanismes de marché (certification, éco-labellisation)
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construction institutionnelle et implication des parties prenantes
Les démarches réglementaires qui visent explicitement la biodiversité suivent deux modèles idéologiques.
La plus fréquente est l’approche traditionnelle de conservation. Au niveau international, Européen et Français, elle constitue le fondement de la grande majorité des mesures de protection.
Quelques exemples sont la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (1979), la Convention sur le commerce international des espèces sauvages de faune et de flore menacées d'extinction (CITES, 1973), la Convention relative aux zones humides d'importance internationale (1971) et la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe (1979).
Dans la même optique, en France, 2,5% du territoire national est réglementairement protégé, au titre des Lois de 1930 et de 1976. Ces espaces comprennent des Parcs Nationaux, des Réserves naturelles, des Réserves biologiques domaniales, des arrêtés de
biotope, des sites classées au titre de la Loi de 1930, le conservatoire du littoral et des conservatoires régionaux des espaces naturels. Néanmoins, la richesse biologique scientifiquement identifiée dans les ZNIEFF (Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Floristique et Faunistique) concerne 25% du territoire national
.
Cette démarche conservatrice doit être complétée par une approche de gestion de la nature « ordinaire ». La conservation peut répondre aux défis posés par la perte ou la fragmentation des habitats, mais isoler des parts de « nature à conserver » du reste de la « nature ordinaire » ne peut pas protéger la biodiversité d’autres facteurs de risque ubiquitaires. Ces facteurs agissent à grande échelle, tels le changement climatique ou certaines pollutions chimiques. En outre, cette approche est souvent focalisée sur certaines espèces « culturelles » ou « charismatiques », tandis que les écosystèmes représentent des réseaux d’espèces en interaction.
Par ailleurs, cette approche s’appuie sur une politique étatique centralisée qui comporte des procédures multiples, complexes et non-homogènes, une politique de l’interdit
. La France connaît une complexification croissante de la réglementation concernant la biodiversité, dépassant les capacités de contrôle de l’administration
. Le pays est signataire de 9 engagements internationaux, tandis que les dispositifs de protection relevant du droit interne sont en nombre de 42. Cette situation n’est pas propice à une bonne compréhension et facilite le non-respect. Certaines espèces peuvent se retrouver surprotégées, tandis qu’une bonne partie du territoire national n’est couverte par aucune forme de protection ou gestion. Un autre paradoxe est que l’Etat s’investit avec d’importantes responsabilités, mais les ressources financières et humaines qu’il s’accorde pour les mener au but sont souvent insuffisantes. Encore, les divers textes relèvent de plusieurs Ministères, directions et sous-directions. Enfin, l’efficacité réelle de cet ensemble de mesures reste à un niveau très bas
.
Le réseau écologique Européen Natura 2000 est un ensemble de sites naturels, interconnectés, à travers toute l'Europe, identifiés pour la rareté ou la fragilité des espèces sauvages, animales ou végétales et de leurs habitats.
Cette initiative part de l’idée que la nature et la vie humaine ne peuvent pas être séparées dans l’Europe contemporaine, tant l’influence humaine a été importante au fil du temps, et l’est encore plus à présent. Sur ces bases, le réseau cherche à concilier les exigences écologiques des habitats naturels et des espèces avec les activités économiques, sociales et culturelles qui s'exercent sur les territoires.
En France, le réseau de sites récemment proposé pour faire partie de Natura 2000 couvre 8% du territoire. La nomination de ces sites a été longue et difficile, car le réseau a connu des réactions négatives importantes à l’échelle locale. Au contraire de l’esprit original du réseau, les acteurs craignaient la politique d’interdiction traditionnelle et le gel des activités dans les sites désignés à en faire partie. D’autant plus que dans les procédures concernant les sites Natura 2000, l’implication de l’Etat est toujours importante et la décentralisation accorde peu de pouvoir aux élus locaux. Toutefois, l’expérience passée indique la nécessité que l’Etat s’associe aux partenaires locaux, pour assurer une réelle efficacité de la mise en œuvre de ce réseau.
Natura 2000 représente un essai de mise en œuvre d’une nouvelle vision de la prise des décisions, qui valorise la participation des acteurs locaux. Cette vision s’impose de plus en plus dans le domaine des politiques environnementales, face au constat de l’insuffisance des techniques de décision traditionnelles
. Les deux critiques majeures apportées à ces techniques mettent en évidence :
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le manque fréquent d’acceptation locale (du au fait que la décision est prise sur la base d’analyses « objectives » mais souvent illégitimes, car ignorant les intérêts affectés)
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leur fondement théorique général, qui ignore la connaissance locale des acteurs les plus familiarisés avec le problème concerné par la décision. En conséquence, les résultats finissent par faire preuve d’incompétence, manque de pertinence ou tout simplement de faisabilité.