1.3.3. La place du sol dans la réglementation
- Historique de la protection des sols au niveau mondial
Au niveau international, les premières mesures concernant la protection des sols ont été développées aux Etats-Unis à partir de 1938 avec le "Soil Protection Act" qui créait notamment le "Soil Conservation Service" avec pour mission de mettre en place des mesures de préservation des sols limoneux soumis à l'érosion éolienne. La mauvaise gestion de ces sols était à l'origine de nuages de poussière (dust bowl) causant des pertes irrémédiables de sol conduisant à la faillite puis à l'exode les fermiers dans les zones les plus touchées. Plus tard, dans les années 50, l'Australie a également instauré des mesures de protections des sols pour lutter contre l'érosion éolienne.
Crédits
NOAA George E. Marsh Album
Légende
Figure 3.1.3.15 : Photo d’érosion éolienne (Dust Bowl) au Texas en 1935
En 1972, une résolution visionnaire du Conseil de l'Europe [(72)19] insistait sur le fait que le sol est un "bien fini, précieux pour l'humanité et qui se détruit facilement", qu'il convient de le protéger par rapport à différentes menaces comme l'érosion, la contamination, l'urbanisation. Cette déclaration invitait les états membres à mettre en place une politique de conservation des sols.
Puis, pendant 30 ans, aucune initiative communautaire n'a été prise pour protéger le sol en tant que tel contrairement aux actions menées sur l'eau et sur l'air. Cette différence de traitement vient probablement du fait que le sol n'est pas considéré comme un bien collectif contrairement à l'eau ou à l'air ce qui conduit généralement à penser que c'est à son utilisateur et/ou à son propriétaire de veiller à son entretien et à sa durabilité. Ainsi, le sol est majoritairement considéré comme un outil de production (le responsable de son entretien étant alors l’agriculteur) ou un support au développement d'activités humaines (dont la gestion revient aux aménageurs), plus rarement comme un écosystème ou un patrimoine collectif… Dès lors, la vision politique qu'il est possible d'en avoir est également très variable suivant qu'on privilégie une fonction particulière ou qu'on cherche la multifonctionnalité…
En 2002, une communication de la Commission intitulée "Vers une stratégie thématique pour la protection des sols" (COM 2002, 179) reprend, accentue et précise les messages de 1972. Cette communication qui a permis la reconnaissance politique du problème est le point de départ de la vaste réflexion européenne menée de 2003 à 2005 dont l’aboutissement est la proposition d’un projet de directive cadre pour la protection des Sols en Septembre 2006.
-
Situation EU et nationale : les sols généralement protégés indirectement
Outre des cas très spécifiques comme la protection d’habitats remarquables (Directive Habitat) liés aux sols (ex : tourbières, pelouses calcaires) ou des sols en milieu alpin (Convention Alpine) il n’existait pas à proprement parlé de mesures directes visant à protéger les sols avant la proposition du projet de directive cadre pour la protection des Sols. Cependant, si aucune action communautaire n’a été proposée avant 2006, certains états membres de l’Union Européenne ont élaboré une approche complète visant la protection des fonctions du sol comme l'Allemagne, l'Angleterre, le Danemark et la Suède. Dans les autres pays d'Europe, la protection des sols passe par des actions spécifiques menées pour lutter contre certaines menaces comme l'érosion (ex : Italie, Espagne, Portugal) ou la contamination (ex : Pays-Bas, la Suisse et la Belgique),.
Les sols étaient néanmoins considérés par le biais des directives et/ou de lois dirigées vers la protection d'autres milieux et qui ont également des effets positifs sur les sols. Ainsi, plusieurs accords internationaux ainsi que les politiques et les directives communautaires suivantes (liste non exhaustive) permettent de protéger les sols, de manière souvent indirecte en intervenant sur d'autres milieux. Sans prétendre être exhaustif, les actions suivantes contribuent à la protection des sols :
- Les accords internationaux et les directives européennes visant à réduire les émissions atmosphériques de polluants limitent la contamination des sols en diminuant les retombées.
- Les directives européennes pour la protection de l’eau orientent les acteurs vers des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement en général en limitant par exemple les flux de contaminants (notamment nitrates et pesticides) sur les sols.
- Les règlements et directives européennes limitant la teneur en éléments en traces dans l’alimentation animale (et donc dans les lisiers/fumiers), dans les boues de stations d’épuration, dans les composts et les engrais permettent de réduire la contamination diffuse des sols par ces intrants.
- La Politique Agricole Commune et notamment l'introduction des Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales dont certaines concernent les sols (ex : entretien de la teneur en matière organiques des sols, mise en place de bandes enherbées pour lutter contre l'érosion) incite à une meilleure gestion des sols par les agriculteurs.
Au plan national, outre la transposition des textes européens en droit national, d’autres outils existent comme la loi sur les « Risques technologiques » qui demande aux préfets de délimiter les zones dans lesquelles l’érosion des sols agricoles peut créer des dommages et de mettre en place des actions correctives.
-
Le futur : le démarrage d’une politique EU de protection des sols et ses conséquences
Après avoir reconnu le sol comme une ressource essentielle aux sociétés, communiqué sur la dégradation des sols européens et l'urgence à mettre en place des actions correctives (en Avril 2002), la Commission Européenne a proposé le 22 Septembre 2006 une stratégie thématique européenne pour la protection des sols.
Dans l'introduction, la stratégie rappelle les différentes fonctions du sol que sont (i) la production de denrées alimentaires, de biomasse et de matières premières ; (ii) le stockage, la filtration et la transformation de nombreuses substances, y compris l'eau, les nutriments et le carbone ; (iii) la plate-forme des activités humaines, un élément du paysage et du patrimoine culturel et (iv) un habitat et un pool génique. Toutes ces fonctions doivent être protégées en raison de leur importance socio-économique et environnementale.
Cette stratégie a pour objectif général de protéger les sols et de garantir durablement leur utilisation en prévenant leur dégradation, en préservant leurs fonctions et en restaurant les sols dégradés. Bien que les sols soient généralement gérés très localement et que certains Etats Membres (EM) aient déjà mis en place des législations spécifiques, une action à l'échelle européenne a été jugée nécessaire, notamment car :
- La dégradation des sols affecte d'autres compartiments de l'environnement pour lesquels il existe déjà une législation (ex : air et eau).
- Une distorsion du marché intérieur existe, liée à des politiques nationales de protection des sols très différentes (ex : les obligations en terme de restauration des sites pollués étant très hétérogènes, elles peuvent être à l'origine de déséquilibres de coûts et de ralentissement des investissements).
- La gestion des sols peut avoir des impacts transfrontaliers (ex : les objectifs fixés par l'UE en terme de réduction d'émissions de CO2 peuvent être contrariés par une baisse de la matière organique dans les sols, l'érosion dans un EM peut être à l'origine de l'envasement de captages en eau ou de l'augmentation de la fréquence des inondations dans les pays frontaliers).
- Les contaminants du sol peuvent être transférés vers les aliments et affecter la sécurité alimentaire des denrées circulant sur les marchés de l'UE, mettant en risque la santé des consommateurs.
Il s'agit donc par cette stratégie, tout en respectant les principes de subsidiarité et de proportionnalité, de protéger les sols et, indirectement les autres compartiments de l'environnement et l'Homme. Cette stratégie repose sur les actions suivantes :
- La proposition d'un projet de directive cadre.
- L'intégration de la protection des sols dans les autres politiques communautaires et nationales, telles celles liées à la politique agricole commune, à la gestion des déchets, à l'eau et aux plans de développement rural nationaux.
- Le renforcement des recherches sur les sols qui ont été jugées trop parcellaires pour certaines menaces et solutions de gestion. La place du sol dans les futurs appels à projets du 7ème PCRD (Programme Cadre de Recherche et développement).
- La sensibilisation des citoyens aux fonctions du sol, et à leur dégradation étant jugée insuffisante, il s'agit de favoriser la prise de conscience dans l'opinion publique de l'importance des sols.
Le projet de directive cadre présenté par la Commission propose une approche globale de protection des sols en respectant le principe de subsidiarité puisque l'acceptabilité des risques liés aux dégradations des sols, l'ambition sur les objectifs fixés et le choix des mesures permettant de lutter contre ces dégradations sont laissés à l'appréciation des EM.
Les dégradations listées dans ce projet de directive cadre pour la protection des sols sont : (1) l'érosion, (2) la diminution de la matière organique, (3) le tassement, (4) la salinisation, (5) les glissements de terrain, (6) la contamination des sols et (7) l'imperméabilisation.
Concernant les 5 premières dégradations, il est demandé à ce que les EM réalisent les actions suivantes :
- Identification des zones à risque sur leur territoire, sur la base d'éléments communs.
- Définition, pour les zones identifiées, des objectifs de réduction des risques.
- Programmation de mesures permettant d'atteindre les objectifs.
- Rapport à la Commission.
Concernant la contamination des sols, le projet distingue la contamination diffuse des sols, de la contamination locale, liée à des sites contaminés. La contamination diffuse est concernée par un seul article demandant à veiller à limiter l'introduction intentionnelle ou non de substances nocives dans le sol. Pour la Commission, la contamination diffuse ne relève pas d'actions spécifiques au sol, mais de réglementations autres, par exemple sur les intrants agricoles ou le traitement des émissions atmosphériques. Concernant la contamination locale des sols, il est demandé aux EM de réaliser les actions suivantes :
- Un inventaire des sites contaminés sur la base d'éléments communs et d'une liste des activités potentiellement polluantes.
- Une stratégie nationale d'assainissement des sites, définissant les sites prioritaires et comportant des mécanismes de financement des sites orphelins.
- L'élaboration d'un rapport relatif à l'état du sol lors de toute cession de site.
- Rapport à la Commission.
Le projet signale que l'imperméabilisation est une des menaces les plus préoccupantes, car l'accroissement du bâti et des infrastructures liées progresse très rapidement (lettre du Gis Sol n°10). Compte tenu de la perte de sol irréversible et des besoins importants qui pourraient émerger (notamment pour les productions énergétiques), le projet demande à ce que la réhabilitation des friches industrielles et la décontamination des sols soient relancées, afin de limiter l'emprise sur les sols agricoles. Il s'agit également d'atténuer les effets de l'imperméabilisation en mettant au point et en utilisant des techniques de construction permettant au sol d'assurer ses fonctions (notamment la fonction de rétention en eau).
Concernant l'appauvrissement de la biodiversité, une des huit principales menaces pesant sur les sols, le projet de directive reconnaît que le manque de connaissances actuelles interdit de prendre des mesures spécifiques pour assurer sa protection. Il est signalé que les mesures mises en place pour lutter contre l'érosion, la perte de matière organique et la prévention de la pollution permettront d'améliorer en parallèle la biodiversité des sols. Elle devrait faire l'objet de programmes de recherche dédiés, lors du lancement des appels du 7ème PCRD.
En mettant en place ce cadre commun d'actions, la Commission souhaite préserver, protéger et restaurer les sols, en laissant aux EM une marge de manœuvre suffisante pour l'appliquer de la manière la plus adaptée aux conditions locales.
L'adoption du projet de directive cadre pour la protection des sols relève de la codécision du Parlement et du Conseil.
Dans la mesure où les propositions contenues dans le projet seraient adoptées en l'état et suivant les délais moyens observés, le calendrier de mise en œuvre de la stratégie pourrait être le suivant :
- 2008 : Adoption par le Conseil et le Parlement,
- 2010 : Transposition par les Etats Membres,
- 2015 : Identification des zones à risques et identification préliminaire des sites contaminés,
- 2017 : Adoption de programmes de mesures concernant les zones à risques et d'une stratégie d'assainissement nationale des sites contaminés,
- 2018 : Mise en œuvre des programmes de mesures et de la stratégie d'assainissement,
- 2035 : Achèvement de l'inventaire des sites contaminés.
D'autre part, la mise en pratique de la stratégie thématique sols conduira la Commission à accomplir un certain nombre de tâches comme par exemple :
- mettre en place des appels pour des projets de recherche afin d’intégrer dans les futures décisions les nouvelles connaissances,
- réexaminer les directives sur les boues d'épuration et sur la prévention et la réduction intégrées de la pollution,
- vérifier la prise en compte de l'exigence de protection des sols dans les plans de développement rural et contrôler la contribution à la protection des sols fournie par les exigences minimales en matière de Bonne Conditions Agricoles et Environnementales,
- lancer des initiatives pour développer des meilleures pratiques au regard de l'imperméabilisation,
- élaborer une stratégie de mise en œuvre commune pour la directive-cadre et les autres piliers de la stratégie,
- établir une approche solide concernant l'interaction entre la protection des sols et le changement climatique …