Je vais vous raconter une histoire, celle des décennies qui sont devant nous. Je voudrais la replacer d’entrée en faisant fond sur ce que vous avez déjà entendu dans les précédentes discussions et conférences sur le climat, sur quelques ordres de grandeur qu’il est utile de conserver à l’esprit. Lorsque nous nous tournons ensuite vers ce que nous devons faire, nous voyons combien cela sera contraire à ce que cinquante années d’abondance énergétique nous ont conduits à considérer un peu rapidement comme des habitudes éternelles.
La première chose que je voudrais souligner est la rapidité avec laquelle ce problème d’effet de serre s’est proposé à nous. Vous voyez sur cette échelle que l’humanité est restée au dessous du milliard d’habitants pendant très longtemps, jusqu’au XIXe siècle et que depuis, notamment grâce à l’utilisation importante des combustibles fossiles qui ont remplacé la peine humaine par de l’énergie apparemment abondante et peu chère, nous sommes montés très, très vite à plus de 6 milliards d’habitants.
Crédits
Shilling & Al. (1977) , IEA (1997)
Légende
L'explosion démographique.
Parallèlement à cet accroissement démographique, la consommation d’énergie par terrien a elle-même été multipliée par un facteur 8, et cette consommation d’énergie se traduit cette fois par une montée très récente, après la seconde guerre mondiale, au niveau planétaire.
Crédits
Schilling & Al. (1977), IEA (1997), Ademe, Observatoire de l'Energie (1997)
Légende
Consommation mondiale d’énergie (Mtep)
La consommation énergétique se développa donc extrêmement vite, il y a une cinquantaine d’année et ce à 89 % sur base d’énergie fossile : charbon, pétrole et gaz.
Nous avons donc envoyé dans l’atmosphère, avec les gaz à effet de serre induits, une véritable gifle au système physico-chimique planétaire, à l’échelle du temps qu’il a fallu à ce système pour se mettre en équilibre, même si les équilibres ne sont jamais statiques, comme vous le savez ; disons, pour s’ajuster finement.
Quels sont les deux moteurs de cet accroissement de consommation énergétique ? Deux sont majeurs aujourd’hui : la production d’électricité et le transport: ainsi, depuis 1850 nous avons triplé la distance parcourue par habitant, nous sommes passés en moyenne de 1 500 kilomètres à 4 500 kilomètres par an. En moyenne, car le paysan du Burkina-Faso se déplace beaucoup moins que le cadre de New York... Le constat est encore plus marqué pour les marchandises ; le facteur multiplicatif a été de 1000 : nous sommes passés de 10 tonnes/kilomètre/an à 10 000 tonnes/kilomètre/an/habitant. Nos activités ont donc produit ce petit excédent de carbone, de 6 (ou 7) gigatonnes de carbone (ou carbone équivalent) par an. Même si l’ordre de grandeur peut paraitre ridicule à côté des grands flux qui lui sont supérieurs d’un facteur 10 et des grands stocks d’un facteur 100 000 ou 10 000, la rapidité de cette injection et le fait qu’elle n’ait pas de contrepartie, sont suffisantes pour perturber l’ajustement planétaire. Et vous savez que pour déplacer un équilibre chimique, de petites quantités suffisent.
Nous allons maintenant aborder les questions d’adaptation en illustrant la différence entre un scénario à 2°C de plus (scénario B1) et un à 4°C ou 4,5°C de plus (scénario A2) pour la moyenne du globe.
Avec B1, comme l’indiquent les modèles et le confirment les évolutions actuelles, les modèles montrent aux hautes latitudes des températures accrues de 4 à 6°C, ce qui nous pose entre autres le problème de la fonte du permafrost.
Légende
Modèle de l'IPSL, scénario B1 (émissions faibles). Réchauffement (en °C) à la fin du XXI
e
siècle (moyenne des années 2090 à 2099) par rapport à la fin du XX
e
siècle (moyenne des années 2000 à 2009).
Rapport d’évaluation 2001 du GIEC, disponible sur site IPCC : www.ipcc.ch
Rapport d’évaluation 2001 du GIEC, disponible sur site IPCC : www.ipcc.ch
Avec A2, nous avons cette fois, à nos latitudes, des températures moyennes annuelles supérieures de l’ordre de 4 à 6, et 8°C vers les pôles.
Légende
Modèle de l'IPSL, scénario A2 (émissions élevées). Réchauffement (en °C) à la fin du XXI
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siècle (moyenne des années 2090 à 2099) par rapport à la fin du XX
e
siècle (moyenne des années 2000 à 2009).
Rapport d’évaluation 2001 du GIEC, disponible sur site IPCC : www.ipcc.ch
Rapport d’évaluation 2001 du GIEC, disponible sur site IPCC : www.ipcc.ch
Remarquez un point froid dans l’Atlantique nord, qui pourrait être associé au ralentissement de la dérive nord-Atlantique, et qui induit un moindre réchauffement sur l’Atlantique est : il n’indique donc pas l’entrée de la Terre dans une glaciation, comme le suggérait le film « le jour d’après ». Mais il apporte d’autres désagréments : une absence d’oxygénation profonde, et donc une stratification de l’océan menaçant encore davantage les écosystèmes marins et les ressources halieutiques. Il n’y a donc pas lieu de s’en réjouir et ce n’est pas une bonne raison pour nous diriger vers le scénario A2 !
Pour les précipitations, comme un surcroît d’énergie dans le système terre intensifie les phénomènes et notamment les cycles hydrologiques, en gros il pleuvra plus là où il pleuvait déjà, et encore moins là où les pluies étaient rares, notamment en zone tropicale.
Crédits
GIEC 2001
Légende
Précipitations en 2100.
Rapport d’évaluation 2001 du GIEC, disponible sur site IPCC : www.ipcc.ch
Rapport d’évaluation 2001 du GIEC, disponible sur site IPCC : www.ipcc.ch
Parmi les zones de déficit de précipitations très probables, (vous savez que le « très probable » dans les conventions du GIEC signifient entre 90 et 99 % de probabilité, « quasi certain » étant plus de 99 %), la zone méditerranéenne jusqu’à la mer Caspienne est une zone d’assèchement pour tous les modèles. Nous devons donc nous y préparer également. S’assècheraient aussi la Californie, le Mexique, les plaines à blé américaines, l’Australie…
Le niveau de la mer devrait monter de 25 centimètres à 1 mètre. Entre autres conséquences sur l’océan, sur ce scénario tendanciel, il se produit une acidification de l’océan qui en surface atteindrait près d’un point de pH en quelques siècles.
Nous tenons donc dans nos mains, pour les 20 à 30 ans qui viennent, ce qui va se passer pendant des siècles et des millénaires sur notre planète, ce qui est à la mesure de nos moyens technologiques et de nos connaissances. Cela sera-t-il à la mesure de notre sagesse ?