Que veut dire un « facteur 4 » ? Regardons cette fois, de manière plus détaillé, plusieurs scénarios possibles. Pour le dire rapidement, ce qu’a montré ce travail réalisé sur une quinzaine de scénarios, est que nous pouvons effectivement diviser par 4 nos émissions de gaz à effet de serre en tenant compte des rythmes de percolation technologique, des techniques existantes et d’un certain nombre d’interrogations dont nous parlerons juste après, et ce avec des assortiments énergétiques différents.
Nous avons des obligations d’abord en matière d’efficacité énergétique. Celle-ci sera le paramètre clé de la compétitivité du siècle qui vient et à titre d’illustration, l’Europe consomme deux fois moins d’énergie par point de PIB que l’Amérique du Nord) ; mais ce n’est pas tout, nous allons devoir continuer.
Nous disposons de plusieurs possibilités de substitution énergétique, mais celles-là dépendent en général, quelle que soit l’énergie, de résultats scientifiques ou techniques qui manquent, et qui sont attendus dans les 10 à 30 ans, quelquefois davantage.
De la même manière que nous nous sommes trouvés plus riches en étant plus sobres et plus inventifs après les deux premiers chocs pétroliers, nous nous retrouverions plus riches en « société facteur 4 » : pour prendre l'exemple français, nous dépensions en 2000 environ 80 milliards d’euros en facture énergétique. En 2050 sans une augmentation du prix de l’énergie, nous passerions à 145 ; avec un prix du pétrole à 52 dollars le baril et avec seulement 20 % d’augmentation de l’électricité et du gaz, ce serait 240 milliards d’euros. Dans cette situation, le poste énergie en France représenterait davantage en pourcentage du PIB qu’aujourd’hui : nous serions donc plus pauvres. En revanche, avec le facteur 4, même à 52 dollars le baril, nous dégagerions de l’ordre de 150 millions d’euros de « manque à dépenser », comme marge de manœuvre pour l’efficacité et la progression énergétiques d’une part, pour ce dont nous allons avoir besoin par ailleurs, et notamment renforcer la prévention et la réparation des dommages d’autre part.
Voyons rapidement la signification globale de ces scénarios pour les différents secteurs : ils comportent tous des énergies renouvelables accrues, mais sinon sont selon les cas majoritairement nucléaires, avec nucléaire et charbon, sans nucléaire avec stockage du carbone, avec hydrogène et nucléaire, etc. D’abord, l’industrie lourde qui a déjà fait beaucoup en termes d’efficacité énergétique n’est plus très sollicitable à brève échéance en termes de réduction de ses émissions, même si elle doit contribuer. Le résidentiel tertiaire peut et doit faire beaucoup plus de progrès, et nous saurions déjà faire des bâtiments neufs qui consomment 5 fois moins qu’aujourd’hui, voire auraient un bilan énergétique net positif ; l’attention se porte beaucoup plus sur l’existant, plus difficile à rénover. Il s’agit en fait, autant pour le climat que pour la compétitivité du secteur bâtiment aussi, de réaliser effectivement ce que nous savons faire en théorie. Plusieurs états ont mis ceci en pratique depuis longtemps (Allemagne, Autriche, Suède...).
Le problème le plus difficile concerne les transports.
Ils émettent déjà aujourd’hui un quart de plus de gaz à effet de serre que l’ensemble de la société française ne pourra en émettre en 2050. Pour eux, le facteur 4 signifie à peu près un facteur 3 à 5 en économies d’énergie et un facteur 7 en gaz à effet de serre. C’est énorme, mais pas non plus inaccessible dans les délais impartis, en faisant appel non seulement à la technologie mais aussi à tout le reste : réorganisation de la production et des circuits de consommation, comportements, choix modaux... Quelques exemples illustreront tout à l'heure quelques facteurs énormes à gagner par l’organisation de la vie et des territoires. Le message essentiel sur les transports est donc qu’il y a plusieurs possibilités, là aussi avec des bouquets énergétiques différents. Etablissons une liste de l’indispensable : si l’une de ces actions n’est pas ménée à bien, quoique nous réussissions par ailleurs, nous n’atteindrons pas le facteur 4. Donc, non seulement nous ne vendons pas les technologies et les organisations correspondantes, et d’autres le feront, mais nous passons également à une température supérieure :
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des transports ne dépendant plus que pour un tiers des hydrocarbures et donc deux à quatre fois plus économes au moins
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des bâtiments en moyenne trois fois plus économes, c'est-à-dire neufs et existants, et sans fuel
Nous aurons besoin du pétrole pour le transport sur les trente ans qui viennent, donc nous devons faire sortir le fuel de la consommation des bâtiments ;
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une production électrique très peu émissive
Nous ne pouvons pas faire de « facteur 4 » si nous avons une production électrique qui repose sur des combustibles fossiles avec du CO2 non ou très partiellement stocké ;
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une efficacité maximale des biens et services
Aujourd’hui l’efficacité énergétique générale du système français est de 35 %, nous étions à 25 % avant le premier choc pétrolier. Il y a là aussi du travail, mais nous n’avons aucune raison de ne pas arriver à faire beaucoup mieux que cela ;
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des énergies renouvelables diversifiées
C’est une question de potentiel d’activités et d’emplois, mais aussi de sécurité aux échelles nationale et locale : « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Et les possibilités sont très importantes, tant en activités économiques qu’en potentiel énergétique
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des comportements économes
Ce sont nos propres comportements, dans notre vie quotidienne, soutenus notamment par la domotique, l’électronique de réglage, qui permet, comme aime le dire Pierre Radanne, "qu’aucune énergie ne soit plus dépensée sans plaisir" : supprimer déjà ce qui part en fuites, en pertes, en inefficacité. Tout ces scénarios ont été conçus à énergie utile inchangée, progressant comme le PIB : ils jouent sur l’efficacité des systèmes et non sur la richesse.
Dans tout cela, les techniques existantes ou très proches – le véhicule hybride rechargeable n’est pas compliqué, des kits sont déjà vendus (certes sans autorisation…) aux Etats-Unis pour recharger les Toyota et autres hybrides-, nous permettraient de faire un grand pas : certains parlent déjà de facteur 2. Comme ce qui ne sera pas réalisé dans les 20 prochaines années ne sera pas récupérable pour le scénario climatique induit, le potentiel des techniques et organisations connues à ce jour est crucial.